Témoignage émouvant que les souvenirs de l'un des plus grands penseurs de notre temps, qui est mort l'été 1990 à l'âge de 93 ans, et qui surmonta les épreuves de l'exil grâce à sa certitude d' "être capable de faire quelque chose de nouveau". Le destin de Norbert Elias commence à Breslau, dans une famille juive aisée où il fait l'apprentissage de la culture allemande classique. Au lendemain de la guerre (Elias servit sur le front), il entreprend des études de médecine et de philosophie, mais, après des démêlés avec son directeur de thèse, il se convertit à la sociologie et s'intalle à Heidelberg. En 1930, Karl Mannheim lui propose de le suivre comme assistant à l'université de Francfort: "C'était une époque extrêmement féconde d'un point de vue culturel... Nous ne nous doutions pas que ce qui nous attendait était plus qu'un déplacement des rapports de force sur le plan parlementaire." Au printemps 1933 Elias fuit l'Allemagne et part pour Paris. Faute de trouver un poste à l'université, il doit quitter la capitale et se fixe à Londres. Grâce à l'aide que lui accorde un comité de réfugiés juifs, il élabore alors son livre sur le "processus de civilisation", sans doute l'un des livres majeurs du XXe siècle. Mais cet ouvrage passa presque inaperçu dans une Europe hantée par la guerre et ne fut découvert en France que dans les années 1970. Entre-temps Elias enseigna la sociologie à l'université de Leicester (1954-1962), puis au Ghana. Finalement il s'établit à Amsterdam où il continua à travailler à de nombreux livres et essais. Au terme de sa longue vie qui se confond avec le siècle, Elias confiait: "J'avais l'ambition de développer une image de la société qui ne soit pas idéologique. Un objectif ambitieux, que je n'ai atteint que partiellement, ce qui m'attriste un peu, car je ne suis pas sûr que d'autres poursuivront mon travail."

Source: Editions Fayard announcement